Ariane était arrivée là sans même se rendre compte du chemin qu’elle avait emprunté et maintenant, devant le panneau « no left or u turn », interdiction de tourner à gauche et de faire demi-tour, elle ne savait plus que faire.
Dans sa précipitation, elle était sortie de l’hôtel sans se renseigner sur son itinéraire. Comment allait-elle le retrouver, lui, l’homme qui du premier coup d’œil lui avait tourné la tête. Devait-elle aller à gauche, à droite, tout droit ou retourner sur ses pas ? Mais voilà, l’écriteau lui dictait sa conduite. Elle savait bien que ce panneau ne lui était pas destiné, mais tout de même, il lui lançait un ordre.
Elle se retourna brusquement et regarda la route qu’elle venait de parcourir, ses longs cheveux blonds esclaves du vent, lui balayaient le visage et la sensation qu’elle en éprouva la propulsa loin dans un passé qu’elle avait voulu s’obliger à oublier. N’était-elle pas venue à New York pour faire table rase de ce passé qui l’empêchait de vivre pleinement sa vie d’adulte ?
A présent, il y avait cette rencontre avec l’Homme. Un regard, un sourire, quelques mots échangés autour d’une tasse de café au bar de l’hôtel et un rendez-vous donné.
Ce n’était pourtant pas son genre d’obéir à ses impulsions, elle si réfléchie, programmant méticuleusement tous les instants de sa vie. Un tourbillon, une pulsion et des yeux bleus intenses, un regard qui lui faisait croire qu’elle pouvait entrer dans l’intimité de l’Homme.
Il lui avait lancé son prénom, comme une flèche décochée dans la faille de son armure : Joachim.
Maintenant, devant ce panneau, c’était Joachim qui semblait lui indiquer le chemin. Tout droit. Pourquoi tourner à droite alors que la route droit devant elle lui permettait de ne pas revenir sur ses pas, ni de prendre de tangentes. La raison de sa venue à New York, sa rencontre avec Joachim, la poussaient à aller tout droit.
Un dernier regard derrière elle et elle s’élança d’un grand pas chaloupé vers cet ailleurs tant espéré. Après une centaine de mètres, elle ralentit l’allure et le doute commença à la tarauder. Et si elle s’était trompée, et si elle allait à sa perte et non à sa renaissance. Son pas devenait plus hésitant et ce vent qui lui venait en plein visage lui égratignait les nerfs. Pourquoi ne pouvait-elle trouver l’insouciance d’une touriste avide de nouveaux paysages, de nouvelles sensations ?
La circulation devint plus dense, de grandes voitures américaines la dépassaient dans un bruit assourdissant, les autoradios rugissaient un reggae et passaient à la voix nostalgique de Franck Sinatra sans aucune sympathie pour ses oreilles et le tout se mélangeait en une cacophonie déroutante.
Une voiture décapotable la dépassa
Machinalement elle y jeta un coup d’œil. Il lui sembla reconnaître Joachim avec une jolie jeune femme à ses côtés. Mais était-ce vraiment lui ? Certes, elle n’avait pas eu le temps de dévisager le conducteur, elle n’avait pas eu le temps de plonger ses yeux dans les siens. Il lui semblait que la ville était emplie de Joachims.
D’un mouvement d’épaule, Ariane relança sa marche. Devant, elle devait avancer tout droit et ne s’arrêter que … Que…quoi ? Que… quand ? Qui lui dirait où elle devrait s’arrêter ? Elle ne pouvait se décider seule, elle devait poursuivre, suivre cette route qui, elle l’espérait, la mènerait à l’Homme.
Ariane était fatiguée, ses escarpins n’étaient pas faits pour déambuler sans fin dans une ville. Les voitures continuaient de la dépasser en une file ininterrompue, les radios hurlaient toujours des airs contrastés. Elle avait envie de calme, de sérénité et non pas de cette course effrénée vers cet ailleurs à peine entrevu.
Elle s’arrêta net. Où était-elle ? New York était gigantesque et elle avait peur de s’y être perdue. Et si elle ne retrouvait plus jamais Joachim ?
Ariane s’ébroua, chassant ainsi les pensées parasites minant sa résolution d’avancer. Elle se remit en route, les lumières des lampadaires s’allumaient donnant une lumière chiche sur cette avenue qui n’en finissait pas.
Elle se ressaisit au fur et à mesure que le flot des voitures se calmait. Elle devint sereine et s’était débarrassée du chapelet des « et si » qui l’avait assailli plus tôt.
Peu à peu une certitude s’installa en elle. Loin devant, venant à sa rencontre, elle aperçu une silhouette floue. Elle allongea le pas, courant presque. La silhouette devint une personne, un homme.
Était-ce lui, l’Homme ? Elle ne le saurait que quand elle aurait plongé ses yeux dans la profondeur de son regard bleu. Mais elle savait. Joachim, c’était Joachim.
Il courut au-devant d’elle, elle courut au-devant de lui. Il ouvrit les bras, elle s’y précipita et, plongeant son regard dans le sien, elle y vit toute l’espérance d’un après. Elle laissa filer de ses épaules tout le passé qui s’y était empilé.
New York, la ville de sa renaissance.
Joachim, l’Homme de sa destinée.