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8 octobre 2017 7 08 /10 /octobre /2017 16:32

Un tournant. Une vie qui bifurque. Etrange.

La scène s’était passée dans un bar si étroit qu’on ne pouvait faire autrement que se gêner. C’est ce que ressentait Annabelle. Pierre non. Il aimait plutôt cette promiscuité. Il se sentait moins seul. C’est pourquoi tous les soirs, après la sortie du boulot, il passait par ce bar avant de rentrer dans son studio du 4ème étage de la rue de la Quinine.

Annabelle y était rentrée par hasard. Elle avait tellement soif par cette chaleur étouffante qu’elle n’avait pas eu le courage de s’engouffrer dans le métro et de s’agglutiner à tous ces corps en sueur d’où émanaient des odeurs pas toujours bienvenues.

« Un coca light avec des glaçons » avait-elle lancé au barman d’un ton péremptoire. Celui-ci lui avait lancé un regard ennuyé, et en murmurant « s’il vous plait » avait balancé un verre douteux empli de glaçon sur le bar qui n’était même pas en zinc, puis il avait fait glisser une cannette de coca argentée, comme on en trouve dans les grandes surfaces.

Pierre avait regardé cet échange du bout du comptoir où il était accoudé devant un demi à peine mousseux. Il se fraya un chemin jusqu’à Annabelle : « Il fait chaud, hein ? Ça mérite bien une boisson fraiche ». Elle le regarda longuement avant de murmurer « Oui, j’avais vraiment soif, et puis l’idée de prendre le métro ne me tentait pas vraiment ». Pierre acquiesça de la tête, puis il tenta d’entamer une conversation avec elle, chaotique au début avec de nombreux points de suspension. Il avait l’impression d’être minable. Il n’avait pas l’habitude d’aborder les filles dans les bars, surtout celles dont il avait l’impression qu’elles fréquentaient plutôt les sacristies. Mais l’attitude d’Annabelle, empruntée et hardie, l’avait attiré. Elle était mignonne habillée de bleu marine et de blanc, t-shirt, juppette, ballerines, cheveux longs ramassés en une queue de cheval fichée sur le sommet de son crâne et des yeux bleus, non verts, ou violets, ou d’une autre couleur, il ne savait pas, mais des grands yeux qui l’attiraient vers elle : grands, écarquillés, bordés de cils noirs. Et elle avait un nez étroit, rond, fin, avec des narines légèrement ouvertes, ou pincées, il ne savait pas non plus, mais il les aimait bien.

Annabelle s’était peu à peu enhardie et répondait à ses questions en faisant des phrases presque complètes.

Elle le trouvait pas mal et de plus il n’avait pas l’air de souffrir de la chaleur, c’était reposant. Il était assez grand, assez brun, assez beau, assez mince. Elle ne savait trop pourquoi, mais il lui plaisait assez.

Un habitué les dépassa en les bousculant. Pierre avait aimé être projeté contre elle, Annabelle avait d’abord été gênée, mais ce sentiment l’avait quittée rapidement. Etrange …

Ils étaient sortis du bar ensemble. Sans se poser de questions, ils s’étaient promenés.

Un tournant, évident, naturel.

Deux vies qui bifurquent ensemble et deux vies qui feront un chemin ensemble, peut-être...

Un tournant tranquille.

Une bifurcation acceptée.

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26 février 2017 7 26 /02 /février /2017 17:40

Couchée sur le dos, au milieu des grandes herbes du pré, elle regardait passer les nuages poussés par un vent de force six, vieille habitude qu’elle avait gardée de l’époque où elle naviguait, elle aimait cette idée de leur donner des notes pour ensuite les classer dans un recoin de son cerveau.

Allongée par terre, le vent au sol de force un faisait juste bruisser les herbes. Une chaine de nuages lui faisant penser à un petit train laissait ensuite la place à un grand morceau de ciel bleu. Une escale, pensa-t-elle.

La forme des nuages s’enchainait et lui racontait une histoire, comme lorsqu’elle était enfant. Aujourd’hui leur couleur blanche la faisait rêver de communion, de mariage, de virginité. Au loin le ressac de la mer accompagnait la farandole aérienne d’une mélopée toujours la même et sans cesse renouvelée.

Le petit train avait laissé la place à des vagues, fragiles, formant un ruban duveteux se déchirant par endroits et reprenant plus loin, plus denses, plus intenses, puis devenant fil fragile, prêt à se rompre. « Fragilité des vagues » pensa-t-elle ; cette idée lui plaisait. Elle avait même l’impression qu’elle les modelait, qu’elle sculptait les nuages afin qu’ils adhèrent mieux à son rêve.

Le vent dans les herbes s’amplifia, celui dans les nuées forcit. Le bruit du ressac s’entortillait dans le vent en une longue plainte entrecoupée de sanglots. Les nuages devenaient gris clair, chargés d’un bleu indigo léger, ronds, dodus, striés de zébrures nerveuses.

Ah ! Elle revivait dans cette nature heureusement tourmentée ; elle oubliait la maison qu’elle avait quittée plus tôt dans un coup de folie, avec cette pensée libératrice qu’elle s’arrachait à son passé pesant, fragmenté des humeurs de l’Autre.

Le ciel s’enfla, les nuages couraient les uns après les autres, de plus en plus foncés, de plus en plus gros, le bruit de la mer les accompagnait admirablement, force cinq là-bas, au pied de la falaise.

Elle resterait plongée dans les herbes jusqu’à force sept ou huit. Elle en avait besoin. Avec un peu de chance elle essuierait un grain. Elle rêvait de la pluie sur sa robe légère, elle resterait étendue dans l’herbe qui plierait au gré du vent, elle se fondrait à la terre, elle deviendrait eau, terre, herbe. Elle se dissoudrait. Et elle revivrait.

« Adeline, Adeline, Adeline… »

Les cris se faisaient pressants. Elle y devinait un zeste d’angoisse. Elle ne bougea pas, pas envie d’être découverte. Elle ne voulait par rompre le sortilège.

Puis, il fut là, large ombre se découpant sur le ciel menaçant.

« Adeline, mais… » Il n’eut pas le courage de continuer, les mots lui manquaient.

Les yeux d’Adeline étaient mouillés. La pluie ? Des pleurs ? Il ne le sut pas.

Elle, Adeline, le savait.

Sa renaissance attendra encore.

Demain peut-être.

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26 février 2017 7 26 /02 /février /2017 17:37

Eliane avait tiré une carte. « C’est votre subconscient » lui avait dit la femme medium.

« Mon subconscient ne répond pas au hasard ! »

Elle n’avait pu s’empêcher de lâcher cette répartie.

« Est-ce le hasard qui vous a poussé jusqu’à ma porte ? »

Elle n’avait su que répondre.

Elle était arrivée jusqu’à ce petit village de la Creuse, là où il fait vraiment froid en hiver et guère chaud en été. Elle avait fait le chemin en voiture à travers deux cents kilomètres de campagne, le brouillard peinant à se lever. Elle avait hésité à frapper à la porte de la petite maison en fin de village, mais elle n’avait pas fait ce chemin pour renoncer au dernier moment.

« Donnez-moi votre carte » lui avait demandé doucement la femme d’âge moyen qui se disait médium. Machinalement elle la lui tendit.

« Ah !

  • Quoi ah ?

  • Non, non, ne vous inquiétez pas !

  • Mais tout de même : une corde, ce n’est certainement pas bon signe.

  • Chut, ne me déconcentrez pas ; tirez maintenant une autre carte dans ce paquet là ».

Eliane donne la carte à la femme. Une carte vierge, ou peut-être un joker ? Cela pouvait être tout ou rien ou n’importe quoi. Un champ d’incertitudes. Elle n’avait pas fait ce chemin pour ne pas avoir de réponse.

La femme se taisait, ses yeux ne fixant rien en particulier, puis d’une voix monocorde, elle se mit à parler :

« Une corde, des fils de chanvre brut entremêlés méthodiquement pour former une corde, une bonne corde, utile, saine, solide, un boute pour les cordages de bateaux, qui tient une voile, un vent léger fait faseiller la voile, le bateau avance en pleine mer, la corde retient la voile, le vent s’engouffre dans la voile, une main tient la corde et tire légèrement, la voile se tend et le bateau prend de l’élan et fend les vagues. La main appartient à un bras, lui-même relié à un corps, une femme, jeune, seule sur le bateau. Elle a quitté le port, elle fait confiance aux éléments, elle n’a pas peur. Elle ressent une joie intense, elle sent les vagues dans son corps, elle fait corps avec le voilier, avec les vagues, avec la mer ; au-dessus d’elle un soleil de printemps lui chauffe le visage, elle rit doucement. Elle sait où elle va, elle ne sait ce qu’elle y trouvera, mais elle est confiante, elle y arrivera. Oui, c’est ça, elle y arrivera.

  • Mais où, pour faire quoi ? Et la carte vierge ?

  • Oh, la carte vierge, c’est celle de tous les possibles. Elle y arrivera.

  • Comme ça ? C’est tout ?

  • Oui c’est tout, mais ce n’est pas un tout, c’est une étape, un moyen, une ouverture.

  • Mais comment ?

  • Confiance. Elle doit partir, elle doit foncer, aller de l’avant. Je ne peux voir plus. A vous de tirer vos conclusions ».

Eliane est restée assise, les bras ballants, décontractée à l’extrême. Puis, elle s’est ressaisie, a sorti son portefeuille et après avoir payé la femme, est sortie de la maison et est montée dans sa voiture.

Elle avait l’impression d’avoir reçu un coup sur la tête : assommée, éberluée, étonnée et maintenant enchantée.

Oui, c’était tout, mais c’était ça.

Evidemment, elle allait partir, elle allait accepter ce travail qui peu auparavant lui faisait si peur. Elle irait au Paraguay, enfin elle oserait !

 

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26 février 2017 7 26 /02 /février /2017 17:23

Elle avança le long de la mer, le paysage accidenté lui convenait. Elle avait besoin de fixer son attention très précisément. Elle était sortie en coup de vent, voulant oublier les paroles violentes, quasi définitives qu’il lu avait lancées :

« Ma pauvre fille, mais regarde-toi ! Et écoute-toi ! Comment pourrais-tu tenter quelqu’un avec ton allure de chat écorché, et lorsque tu ouvres ta gueule, il ne sort qu’un miaulement de souris apeurée. Comment j’ai fait… »

Il n’avait pas eu le temps de finir sa phrase qu’elle était déjà sortie dans le jardin. Elle commença par marcher rapidement, puis s’était mise à courir pour mettre le plus de distance entre eux. Comment avait-il pu ? Elle arrêta de donner des coups de pieds rageurs dans toutes les pierres du chemin puis ralentit son allure.

L’air vif lui avait peu à peu lavé la tête et bientôt elle ne pensa plus à rien. Rien, même pas à lui, même pas à elle. Elle ne ressentait plus d’émotions dans la bulle qu’elle avait réussi à créer. Elle était tès forte à ce jeu-là ; depuis toujours, elle s’était façonné cette capacité. C’est ainsi qu’elle réussit à reprendre son calme et, cerise sur le gâteau, sa mémoire ne retenait plus les paroles blessantes de son mari.

Cette victoire sur elle-même la ravissait, l’enivrait, comme si elle avait bu quelques flutes d’un champagne à fines bulles.

Elle avait maintenant rejoint le chemin des douaniers, surplombant la mer. Le soleil couchant y avait mis le feu, formant un contraste saisissant avec le vert sombre, presque noir de la forêt à sa droite, traversée d’un chemin sombre formant une sorte de ganache s’enfonçant sans fin au travers des pins.

Elle ébaucha un sourire en pensant à toutes ces références culinaires.

Le chemin descendait doucement vers l’océan qui prenait des couleurs violettes au fur et à mesure que le soleil disparaissait.

Elle s’était appliquée à pratiquer l’oubli des paroles blessantes, l’oubli de ce mariage mal ficelé, l’oubli de ce mari si beau et si cruel. Oh, jamais il n’avait levé la main sur elle, mais les mots avaient plus de pouvoir qu’une simple gifle ou même qu’un coup de poing.

La paix de cette nature grandiose la pénétrait totalement, elle se sentait en symbiose avec elle.

Elle s’assit sur un promontoire formant un cap sur l’océan, une dernière mouette tourbillonnait autour d’elle ; elle l’examina et imagina qu’elles étaient entrées en relation, l’oiseau sans mémoire, et elle qui ne voulait pas se souvenir.

La ronde de la mouette s’élargit et l’oiseau disparut dans un piaillement troublant le silence environnant. D’un mouvement lent, elle se leva et continua sa marche d’un pas assuré. La forêt avait laissé la place à un champs où quelques tournesols oubliés ne tournaient plus leur tête à la recherche du soleil à présent disparu, leur tête brune pendant lamentablement.

Elle ne put se décider à rentrer, pourtant elle commençait à ressentir une légère fatigue. Rentrer et le rencontrer ? La vérité vint la frapper d’un coup : elle avait peur de son mari ! Qui était-il cet homme dont elle était tombée amoureuse vingt ans auparavant ? Elle l’avait rêvé – romantisme exacerbé- elle l’avait imaginé tel qu’il n’était pas, elle était tombée amoureuse de l’amour. Au fond, son amour de vingt ans s’était évaporé, tel un ballon de baudruche.

Elle s’arrêta net sur le chemin, se retourna et prit le chemin de retour. Elle avait décidé : elle ferait ses bagages et, sans rien dire – n’était-elle pas un chat doublé d'une souris – elle s’éloignerait à pas feutrés et commencerait une nouvelle vie, SA vie, loin de lui, libérée. Et lui ? Il pourrait continuer à tourmente une autre femme encore plus timide qu’elle, cela ne la concernait plus.

En se rapprochant de la maison, elle sentit la main qui serrait son cœur se dénouer, elle prit une grande respiration et entra dans la maison d’un pas de félin conquérant.

 

 

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26 février 2017 7 26 /02 /février /2017 17:17

L’homme est grand, svelte, les épaules bien carrées, son jean bleu moule ses jambes athlétiques et son pull bleu marine ne laisse rien ignorer de sa puissante musculature. Les jambes bien ancrées sur le sol, sa tête est baissée et ses larges épaules affaissées. Il ne bouge pas, insensible à la mouette qui vole vers lui, à sa beauté singulière, blanche, élégante ; elle est seule, aucune de ses compagnes ne l’a suivie, elle semble viser l’homme, puis va se percher sur un rocher non loin de lui.

Il est seul sur l’île aux Mouettes. C’est un petit îlot breton n’abritant qu’un penty au toit d’ardoises grises en harmonie avec la teinte du ciel. De la cale où mouille une solide embarcation, un chemin rocailleux monte jusqu’à la maison de grès : une porte au centre et de chaque côté une petite fenêtre. Un banc de granit est ancré sous une des fenêtres, un arbuste flanque le côté de la maison alors que de gros hortensias égaient la pierre de l’autre côté. Plus loin, un bouquet de résineux laisse la place à un maquis d’ajoncs et de bruyères. L’endroit est rude, isolé, propice à une retraite du monde des vivants.

L’homme est seul, alors pourquoi retenir ses larmes ? Qui le verra ? Est-ce son dernier rempart protégeant une éducation masculine où on lui avait répété à l’envie qu’un homme, un vrai, mon fils, ça ne pleure pas.

Il lève la tête, son regard embué se pose sur la mouette qui semble le contempler, sa tête blanche penchée comme pour lui dire « Allez, tu n’es pas seul, tu peux compter sur moi, mais je ne vais pas m’imposer non plus ».

L’homme a compris l’oiseau, un léger sourire soulève le coin de ses lèvres et il murmure « merci ».

Il va s’assoir sur le banc de pierre et allonge ses grandes jambes devant lui. Il ne pense plus à rien, il regarde la mer grise et calme qui reflète le ciel bas, chargé d’une bruine prochaine. Cette étendue d’eau le nettoie, il s’y perd et en même temps il lâche sa tristesse.

D’accord, elle est partie, elle, sa compagne il ne sait plus si c’est d’une heure, d’un jour, d’une vie. D’un pas lent, il se dirige vers le bord de l’eau, ramasse quelques galets qu’il lance à intervalle régulier dans l’eau qui clapote. Plouf. Quelques secondes de silence. Plouf. A chaque plouf, l’étau qui lui enserrait la poitrine se relâche. Encore quelques galets et il pourra se mettre au travail.

Il entre dans la maison, s’installe à son bureau devant la petite fenêtre de la salle, prend un stylo à bille, ouvre le grand cahier encore vierge et, jetant un dernier regard sur la mer, il inscrit la date, en haut de la page, à droite : samedi septembre 1959 :

« Je suis seul, sur l’île aux Mouettes … »

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14 septembre 2016 3 14 /09 /septembre /2016 17:04

Nouvelle écrite en tenant compte des cinq sens.

~~Kariam avance sur un sentier d’herbes foulées par de nombreux pieds et se dirige d’un pas lent vers ce qui lui semble être la direction de la mer. Elle ne l’entend pas, pas de ressac, pas de bruit qui enfle puis décroit. Est-elle dans la bonne direction ? En ce jour de printemps, personne pour la renseigner, alors, confiante, elle marche. Un bruit de coassement se fait de plus en plus fort jusqu’à devenir assourdissant, une véritable conversation de grenouilles emplit l’espace, elles se répondent, certaines donnent même l’impression d’être en colère ; de grands roseaux laissent apercevoir l’eau d’une grande mare ; un chêne qui n’a pas réussi à pousser en hauteur étend sa ramure au dessus de l’eau et ses jeunes feuilles forment un contraste saisissant avec le gris foncé du plan d’eau. Le bruit des grenouilles cède la place à celui d’une voiture qui passe à vitesse réduite. Kariam traverse la route et aperçoit la plage à travers les arbustes bien taillés qui hésitent à laisser pousser leurs jeunes feuilles d’un beau gris velouté.

Enfin la plage. Kariam ne s’est pas chaussée en conséquence et hésite à retourner pour y remédier. Malgré tout elle avance sur le sable mordoré qui n’a pas la finesse des plages de son enfance, et dont on devine la roche dont il est issu. Une série de bandes claires et foncées l’attire ; elle laisse de côté celles plus foncés formées d’écheveaux d’algues, et suit le liseré blanc composé de coquilles d’huitres blanchies par le va-et-vient de la mer qui, deux fois par jour, les roule, les emporte plus loin et les ramène inexorablement, encore plus blancs, encore plus lisses. Elle avance, se baisse, en ramasse un, le regarde attentivement et décide de l’enfouir dans la poche de son ciré rouge, un autre, après examen retourne vers ses frères sagement déposés sur le sable. De temps en temps, une étincelle verte la fait se courber une fois encore et elle cueille un morceau de verre roulé, usé, érodé par les vagues : il rejoindra sa collection. Ses poches deviennent lourdes de trésors.

Elle se décide alors à porter son regard sur les rochers se prélassant sous le ciel gris chargé de nuages compacts. Ils sont de la même teinte que le sable, un ton plus foncé et sont striés de larges bandes s’entrelaçant par endroit, leur gris foncé en passant par le violet pour arriver à l’indigo tranche sur la couleur de la roche. Ce sont des moules qui s’agrippent sur le rocher en attendant la marée qui va les mouiller à nouveau avant de se retirer une fois encore pour les laisser se reposer, attendant leur bain biquotidien. Certaines sont trop petites pour être consommées, et Kariam pense que ce serait dommage de cueillir les plus grosses.

Ici et là, dans une flaque d’eau nichée dans le creux d’une roche, une huitre a pris la même teinte dorée que la roche qui l’abrite et espère ainsi passer inaperçue des ambitieux qui auraient l’idée saugrenue de l’arracher à sa quiétude.

Bientôt, Kariam prend conscience qu’elle n’est pas seule sur la plage : un homme lance des instructions à une toute jeune fille qui tient un fil à la main, au-dessus d’elle, un cerf-volant blanc flotte, virevolte, tente de retrouver la terre, mais, obéissant aux injonctions de l’homme, la jeune fille, d’une main malhabile, le remet sur une trajectoire plus digne de son état.

Kariam les regarde quelques minutes, puis s’extrait à nouveau et enfin, elle ose regarder la mer dans les yeux : elle avait voulu se laisser surprendre et, à présent, peut l’admirer à loisir s’étalant devant elle majestueuse et royale, d’un vert jade par endroit, laissant la place plus loin à un vert mousse. Elle a toujours aimé ces nuances de vert lui rappelant les sculptures de la Chine antique ; pourtant, l’océan rend cette couleur plus animée, miroitante par endroits, plus intense ailleurs et plus près d’elle, presque transparente. La ligne d’horizon reste visible grâce au ciel gris clair au dessus d’elle et qui met naturellement la mer en valeur. Lorsque son regard se porte sur la droite, le vert tend à se fondre dans un gris mimant ainsi la couleur du ciel.

Kariam s’assied sur un rocher, son dos s’appuyant contre un autre formant un dossier. Elle s’emplit de la vision de cette immensité, ne sentant pas le vent piquant lui fouetter le visage, ne se rendant pas compte que ses mains se glacent de plus en plus, ne voyant pas la mer monter, les yeux rivés sur la ligne d’horizon agissant comme un aimant. Elle atteint son point de plénitude et le silence emplit son corps.

Le piaillement perçant d’une mouette traversant le ciel sort Kariam de son état, elle la suit des yeux et la voit se percher sur un rocher à quelques coudées d’elle, suivie bientôt de quelques compagnes, puis, sans crier gare, l’une d’elle s’envole en piaillant : tout d’abord quelques battements d’ailes, puis un vol majestueux où, étalant ses ailes pour se laisser glisser sur un couloir d’air, la fait ressembler à un grand planeur. Ses compagnes la suivent de près.

Kariam se retrouve seule avec uniquement le bruit des vagues frappant le rocher avec une régularité hypnotique, le vent siffle tranquillement et lui pince le visage, la faisant plisser les yeux. Elle est dans un autre monde fait de murmures, de piaillements, de bruits sourds, de frôlements d’ailes et de « schlum plach, schlum plach … » Elle pense à une symphonie de Dvorak. Pourquoi lui ? Elle ne veut pas le savoir. Elle fredonne une chanson sans parole, une mélodie qui lui vient intuitivement. Une mouette vient tourner au-dessus de sa tête comme pour mieux écouter ce chant d’humain, inoffensif, agréable, formant un tout cohérent avec la nature environnante, puis elle s’éloigne dans un claquement d’aile, finalement indifférente.

Dans le ciel maintenant vide, retentit un cri strident, sourd, elle ne sait, qui la sort de sa béatitude : un cormoran noir et fier vient de se poser sur un rocher au loin. Elle se lève, regarde autour d’elle, et monte sur le haut de son rocher ; il est cerné par les eaux, les vagues ont enflé et leur assaut est maintenant assourdissant.

Tournant résolument le dos à la mer, elle fait quelques pas et s’arrête indécise. Elle se sent ridicule de s’être laissé piéger par la réalité des éléments, comme si elle s’était immergée dans un livre de contes où l’auteur mène l’histoire à sa guise. Ancrée dans le présent, Kariam évalue les risques : pourra-t-elle regagner la plage sans risquer sa vie ?

Au loin elle voit la meneuse de cerf-volant et son mentor. Elle fait de grands moulinets avec ses bras dans l’espoir que le rouge de son ciré attirera leur attention. Elle crie : « Hou Hou ! Ohé Ohé ! Eho Eho ! Hep Hep ! » Bientôt suivi d’un « Help Help ! » angoissé. Les mouettes tourbillonnent au-dessus de sa tête, leurs cris couvrant les siens. Ses appels lui semblent bien dérisoires. Elle enlève alors son ciré et l’empoignant par une manche le fait tourbillonner au-dessus de sa tête en grands moulinets faisant des waoufs assourdis et pour faire bonne mesure, elle crie en même temps « Ohé Ohé ! »

L’homme se fige, lève son regard vers elle et lui fait un grand geste du bras, le cerf-volant en profite pour descendre en piqué et se ficher dans le sable. La jeune fille se retourne et lui fait face. Kariam devine les cris de l’homme qui court vers elle, il s’arrête à la lisière des vaguelettes et, mettant ses mains en cornet autour de sa bouche, lui crie ce qui lui semble des ordres, le vent lui apporte quelques syllabes : «…ci ……….dez……….ve………. »

Elle enfile son ciré et avance sur le rocher qui descend doucement en direction de la plage. Arrivée à la lisière de l’eau, elle perçoit mieux ce que l’homme lui crie inlassablement : « Par ici, descendez vers la droite et venez tout droit vers moi ! » Elle lui crie : « OK, merci ! » puis elle s’assoit, enlève ses bottines de daim, ses chaussettes noires qu’elle cale dans ses chaussures, hésite un instant et se débarrasse de son jean dont elle enveloppe ses chaussures, fait un nœud et lance ce ballot sur son épaule droite.

Elle se dirige vers la droite du rocher et glisse lentement un pied dans l’eau. Un cri de surprise lui échappe : l’eau est glaciale. Elle n’a pourtant pas le choix, alors l’autre pied suit, elle descend avec précaution jusqu’au sable, elle a de l’eau à mi-cuisse. Tout en descendant, elle ne peut s’empêcher de pousser de petits cris. L’homme en face d’elle l’encourage en riant et elle n’hésite pas à rire avec lui. Elle court comme elle peut dans l’eau : « splash, splash, hi hi, ha ha, ho ho, splash, splash ».

Elle se trouve bientôt en face de l’homme qui, riant à gorges déployées, lui ouvre les bras en un geste en même temps accueillant et réconfortant. Sans réfléchir, elle s’y précipite en riant. Il referme les bras en une étreinte. Ils se taisent. Plus loin, la jeune fille qui se dirigeait vers eux stoppe net. Leur rire s’est éteint, plus de bruit dans leur tête, juste deux iris qui se cherchent et se posent. Les regards se quittent, Kariam ne peut s’empêcher de humer l’odeur de l’homme, un mélange de fragrances de noisette, de vent et d’un autre élément qu’elle n’arrive pas à définir. Elle se dégage lentement. Il se penche vers elle et lui murmure au creux de l’oreille : « Demain. Ici. 18 heures ». Elle acquiesce lentement.

Après avoir enfilé son pantalon, elle prend appui sur le bras que l’homme lui tend et met ses chaussettes et ses bottines, puis elle prend le chemin de retour vers la maison qu’elle a louée.

Elle tente de retrouver la fragrance de cet homme, il lui fait penser à celui de quelqu’un d’autre, un vieux souvenir, mais c’est là encore peine perdue. Toute à son effort de mémoire, elle ne prête plus d’attention à ce qui l’avait tant attirée sur son chemin de l’aller. Arrivée chez elle, elle se déchausse et se pose sur le canapé après avoir attrapé un livre, une histoire passionnante se passant en partie en Russie à l’époque du dernier tsar, et à Londres dans les années 80. Mais son livre lui tombe des mains, elle a toujours cette odeur en tête, impossible de se concentrer.

Elle se souvient d’une odeur de laine humide, l’homme portait un caban bleu marine. Cette dernière odeur la ramène immanquablement à la Bretagne de son enfance. Ce n’étaient pas des cabans à l’époque mais des kabigs, l’odeur était la même. Elle se souvient de ceux que son père lui achetait tous les ans : « les enfants grandissent si vite ! » avait-il coutume de dire, comme s’il cherchait une excuse pour lui faire plaisir. Une année bleu marine, la suivante rouge, une fois même il lui en avait acheté un orange, d’un orange très doux et si gai ; ils étaient si pratiques avec leur double poche sur le devant et sentaient bon la laine humide lorsqu’il bruinait, alors que leur intérieur restait toujours sec. Satisfaite, elle reprend sa lecture, mais repose son livre une minute après : « mais il y avait une autre odeur » ne peut-elle s’empêcher de murmurer. Demain elle le reverra, alors…

De son côté l’homme reprend le chemin de sa maison avec sa fille qui lui jette de temps à autre un regard interrogateur. Il n’y prête pas attention, il se remémore l’instant où cette femme s’est jetée dans ses bras si naturellement. Il se souvient de ses jambes nues émergeant de son gros pull marin bleu marine et de l’odeur de ses cheveux, un mélange de frais, de vanille et de … Il n’arrive pas à se remémorer l’autre élément : pomme ? Lavande ? Qu’importe ! Pourtant cette odeur s’est fichée dans ses narines, mais demain, il la reverra, alors…

Kariam reste ainsi, son livre posé sur les genoux, les yeux dans le vague, un doigt dans une mèche de cheveux. Elle s’est coiffée ce matin, comme d’habitude, mais son séjour sur le rocher, face à la mer, a fini de la décoiffer. Elle tournicote son index autour de sa mèche sans réfléchir, dans un sens, puis dans l’autre. La sensation sur son doigt pénètre jusqu’à son cerveau au repos : ils ne sont plus aussi doux et soyeux qu’après un long brossage, mais légèrement poisseux. En jouant avec ses cheveux, elle rêvasse et se souvient de sa joue sur la laine rêche du caban de l’homme, rêche mais pourtant doux … et accueillant, elle ne l’a effleuré que l’espace d’un instant et pourtant la sensation lui reste fortement ancrée.

Dans son demi-rêve, elle ressent ses jambes mouillées et froides, presque gelées contre le velours du pantalon de l’homme, les réchauffant devant alors que ses mollets et le creux de ses genoux étaient resté glacés. En se le remémorant, elle ressent cette impression de douce chaleur qui l’envahit, l’enveloppe, l’étreint et la berce jusqu’à l’endormissement.

L’homme pénètre dans sa maison et, après un petit signe de la main à sa fille comme pour lui signifier son congé, se dirige vers son bureau où il s’enfonce dans son vieux fauteuil club de cuir usé. Il prend sa pipe de bruyère qui repose sur le cendrier sur pied à côté de son fauteuil. Il avait trouvé ce pied solide posé sur un socle de pierre, sa tige agrémentée de cuivre rouge et de fer se terminant par une sorte de support prêt à accueillir un bol de barbier – c’est ce que le brocanteur lui avait dit – et l’avait complété avec un lourd cendrier de marbre vert foncé réconfortant et masculin. Il porte la pipe à la bouche sans même l’allumer : il aime son embout lisse et raide entre ses lèvres, le poids de la pipe l’obligeant à faire une lippe pour qu’elle ne tombe bas ; c’était la pipe de son frère ainé, mort depuis quelques années déjà, son seul lien avec lui, le seul objet qu’il ait voulu lorsque sa belle-sœur lui avait proposé un souvenir.

Il étale son grand corps dans l’enveloppe protectrice du cuir patiné, usé par l’usage intensif et par le temps qui passe, les jambes écartées, le regard dans le vague, il ne pense à rien, il est juste là, bien, très bien. Il caresse doucement les bras du fauteuil, la sensualité du vieux cuir lui sied et le renvoie à la femme au rocher, à ses jambes nues contre son pantalon, il se souvient comme sa propre chaleur s’était propagée jusqu’à elle, il se rappelle comment ses larges mains enserraient la taille de la femme à la perfection, il se souvient de la laine de son pull picotant ses paumes, il imagine la douceur de la peau de ses bras sous la laine rugueuse, et il se voit faire un va-et-vient en la frôlant légèrement comme il frôle à présent les bras de son fauteuil. Posant sa pipe sur son socle, un sourire aux lèvres, il s’endort.

Il est réveillé par l’appel de sa fille : « Papa, papa, j’ai fait le diner, viens manger ! » Alors il s’ébroue et immédiatement la sensation de la femme au rocher lui pénètre dans le corps. Il se lève et d’un pas léger se dirige vers la grande cuisine d’où une bonne odeur de crustacés s’échappe. Demain lui parait prometteur.

Le lendemain, Kariam est réveillée par le piaillement des oiseaux qui se sont donné rendez-vous sur le magnolia à fleurs blanches en forme d’étoiles non loin de sa chambre. Peinant à se rendormir, elle se lève et après avoir avalé le café dont elle ne peut se passer, sort par la porte de derrière qui lui permet d’atteindre plus vite le bord de la mer vers le lequel elle se dirige résolument. Elle s’est vêtue chaudement avec, cette fois-ci, des bottes pouvant résister au sable de la plage. Elle a encore le goût du café force 4, pur arabica avec un léger arome de caramel, elle aime ces deux goûts qui, mélangés, en engendrent un troisième : celui de la noisette.

Cela la replonge à ses 18 ans, alors qu’elle était monitrice de colonie de vacances en Dordogne. A son premier jour de congé, elle était partie en stop avec un moniteur qu’elle ne connaissait pas avant. Ils avaient déjeuné sur l’herbe face à la rivière qui, à cet endroit, s’enroulait en un cingle ; ils avaient découvert ensemble ce que le cuisinier leur avait fourni : une tomate, un morceau de poulet froid, une petite portion de Vache qui Rit et deux abricots bien murs. Ce n’était certes pas un festin, mais les produits avaient une vraie saveur, la tomate, juste relevée d’un peu de sel, laissait couler au fond de sa gorge son jus frais, en même temps sucré et légèrement acidulé, et mouillait ainsi le poulet qui aurait pu être trop sec sans elle. Quant à la Vache Qui Rit, elle sentait bon l’enfance dont elle ne se sentait pas si éloignée ; elle avait enlevé son emballage avec précaution pour ne pas abîmer l’image de la gentille vache aux boucles d’oreilles.

Leur déjeuner terminé, Camille, son copain d’escapade au prénom de fille pour elle mais pourtant bien masculin, lui avait suggéré d’aller prendre une boisson au village voisin. Sous une pergola agrémentée d’une treille, ils avaenit été servis d’une « noisette », liqueur onctueuse faite à partir d’un vin blanc et d’essence de noisette, une recette jalousement gardée, leur avait déclaré la vieille aubergiste au visage ridé comme une pomme oubliée trop longtemps dans la cave et qui semblait à peine tenir sur ses maigres jambes arquées, ses mains fripées tenant amoureusement sa bouteille ; c’est elle qui leur avait imposé ce nectar avec toute la sollicitude des personnes âgées qui, elles, savent mieux que vous ce dont vous avez besoin.

Tout en marchant d’un bon pas, elle sent encore sur sa langue la douceur de la liqueur au goût prononcé de la noisette, doux mais fort, emportant toutes les autres saveurs de son repas d’alors, et résistant au fil du temps à l’usure de l’oubli. Elle n’avait jamais revu Camille, alors instituteur dans une école communale, de quelques années son ainé.

Ses pas l’entrainent vers « sa » plage, la plage au rocher. Elle le voit au loin, tout entouré d’eau ; elle ne peut s’y poser, alors elle le regarde avec la nostalgie d’un souvenir agréable. Une image s’impose à elle, celle de l’homme courant vers elle, les bras largement ouverts, et elle sourit. A la fin de la journée, elle le reverra. Peut-être sera-t-elle déçue. Elle hausse imperceptiblement les épaules et retourne lentement vers sa maison. Elle se fera alors un vrai petit déjeuner, tartine grillée d’un bon pain de ménage avec une bonne couche de beurre aux cristaux de sel de Guérande.

L’homme ne dort plus. Il se lève sans bruit pour ne pas réveiller sa fille qui a besoin de plus de sommeil que lui, va se faire un café bien fort pour commencer sa journée. Le goût légèrement amer encore sur son palais, il sort après s’être chaudement couvert – les matins de ce mois d’avril sont encore très frais. Il se dirige vers la plage d’hier, mais résolument il change de direction, il ne veut pas spolier son souvenir émerveillé de la Dame au Rocher. Le nom avec lequel il la désigne lui fait penser à un tableau de Léonard de Vinci qu’il avait vu à Londres, une dizaine d’années auparavant : « La vierge au rocher », à moins que ce soit « Anne au Rocher ». Sa mémoire lui joue des tours, mais cela ne l’empêche pas d’idéaliser sa rencontre d’hier avec SA Dame au Rocher.

Une saveur s’impose immédiatement à lui : la noisette. Sa Dame au Rocher sentait la noisette. Un trait de son imagination ou un souvenir réel ? Il ne sait, mais cela le reporte irrémédiablement à sa jeunesse, aux colonies de vacances, à cette noisette goûtée dans ce bistrot sans prétention de Vitrac. Il y est repassé il y a quelques années, mais l’endroit n’existe plus, transformé à présent en une habitation qui lui avait parue bien banale.

Après une demi-heure de marche, il retourne vers sa maison où il se fait un petit déjeuner sérieux. En fin de journée, il ne manquera sous aucun prétexte son rendez-vous. L’homme se dirige vers la plage au rocher, il est en avance, trop impatient. Comment va être leur rencontre ? Un peu maladroite peut-être, ou sans intérêt. Bof ! Il verra bien.

Kariam, les mains dans les poches de son ciré rouge, avance d’un pas rapide, bien qu’elle soit en avance. Elle aperçoit l’homme qui lui tourne le dos, faisant face à la mer. Elle s’élance vers lui, elle court, il se retourne et, en signe d’une reconnaissance connue d’eux seuls, lui ouvre les bras. Elle s’y précipite. Ils s’étreignent en silence, leurs corps se souviennent. L’homme retrouve l’odeur de noisette qui l’avait hanté la veille et si propre à Sa Dame au Rocher. Il desserre son étreinte et, tenant Kariam par l’épaule : « La noisette, c’est bien la noisette ! »

Voyant l’air interrogateur de Sa Dame au Rocher, il poursuit :

- Cela me ramène très loin. Il y a une trentaine d’années, à Vitrac !

- Vitrac ? Vous êtes allé à Vitrac ? Et vous avez goûté cette merveilleuse liqueur de noisette du petit bar qui avançait en pointe, à deux pas de la Dordogne ?

- Euh… oui, oui, c’est ça ! Mais comment… ?

- C’était il y a une trentaine d’années, j’y étais aussi, ou plus exactement 28 ans. J’étais monitrice de colonie de vacances…

- A Grolejac !

- Oui, à Grolejac… c’était mon premier jour de congé. J’étais partie en congé avec un autre moniteur, Camille…

- Camille, oui, je me souviens de lui, il avait une barbe bien taillée, un collier, comme beaucoup d’enseignants de cette époque.

- Vous vous souvenez de Camille ? Attendez, j’y étais en juillet 1967.

- Moi aussi ! J’avais l’équipe des gars de 11 ans.

- Et moi des filles de 10.

- Kariam !

- Jérôme ! "

Ils s’étreignent à nouveau.

"- C’est amusant, Jérôme, moi aussi je t’ai associé à une odeur de noisette ! On peut se tutoyer ? - Evidemment. Sais-tu que j’étais un peu amoureux de toi à cette époque. Tu irradiais de gaité et d’énergie. Et tu étais si mignonne…

- Ah ! et je ne le suis plus ? Je sais, j’ai vieilli…

- Non, tu n’es plus mignonne, maintenant tu es belle.

- N’exagère pas tout de même ! J’ai une image de toi lorsque tu entrainais ton équipe vers le fond du parc en petites foulées, tu me semblais si mystérieux… Et je t’admirais de loin, tu me semblais inaccessible et j’étais si jeune, juste 18 ans."

Ils continuent à se raconter leurs souvenirs en marchant le long de la plage, se tenant la main, comme deux gamins. De temps en temps un rire clair fuse accompagné d’un grand éclat de rire plus fort. Ils ne voient pas le temps passer. Kariam commence une chanson de cette époque que Jérôme complète de sa voix de baryton ; justement Kariam adore ces voix profondes.

" - Kariam, je me suis toujours posé une question. D’où vient ce prénom que tu portes ?

- Kariam ? C’est toute une histoire, ce n’est qu’un surnom que je m’étais inventé car je n’aimais pas le prénom dont mes parents m’avaient affublé : Caroline ! Je le jugeais désuet, je trouvais qu’il sonnait comme crinoline !"

Leurs pas les amènent à la maison de Kariam.

Puis le lendemain à celle de Jérôme.

Et le jour suivant…

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5 avril 2016 2 05 /04 /avril /2016 17:30

Dans le penty qu’elle avait loué non loin de la plage de la Torche, on entendait le bruit du ressac, très fort, de temps en temps une rafale de vent soufflait autour de la maison en passant au dessus des pins qui avaient depuis longtemps pris l’habitude de n’opposer aucune résistance en prenant une forme étonnante d’humilité.

- « Ernest, as-tu bien fermé les volets au moins ?

- Ouais, ne t’en fais pas Adeline !

- Même celui de la petite chambre sous le toit ?

- Ah non, je l’ai oublié ! »

Ernest monta à toute vitesse l’escalier de meunier et ouvrit la porte de la chambre.

- « Adeline, viens m’aider, vite ! » Adeline se précipita. Dans la chambre, le vent s’engouffrait par la fenêtre ouverte et Ernest, les pieds écartés, s’arqueboutait essayant en vain de fermer les deux volets de bois en même temps. Avec l’aide d’Adeline, les volets furent enfin clos et la fenêtre fermée. Ils se regardèrent en riant, ils étaient trempés.

Vêtements changés, une bonne tasse de thé brûlant à la main, ils s’engoncèrent dans les deux fauteuils confortables qui se faisaient face à cpoté de la cheminée. Ils parlèrent de choses et d’autres, de rien en particulier, comme à leur habitude.

- « Quel vent ! Tu crois que c’est une tempête ?

- Ca m’en a bien l’air, mais ne pense pas que je vais mettre le nez dehors pour m’en assurer, je suis trop bien ici.

- Ca doit être beau à la Torche, déjà quand le vent est timide, les vagues sont impressionnantes, mais maintenant le spectacle doit être grandiose. »

Adeline ne répondit pas à Ernest, pas envie, la flemme. Ernest se leva et prit la bouteille de wiskey :

- « Tu en veux ? Je n’ai que cela à te proposer, avec le thé, ça va me réchauffer.

- Ben, j’ai pas froid, mais bon, une larme, pour te tenir compagnie ».

Ils restèrent silencieux, vautrés dans leurs fauteuils, les jambes allongées devant eux. Ils n’avaient pas besoin de parler pour se sentir bien. Vers onze heures, ils décidèrent d’aller se coucher, chacun dans sa chambre ; leur amitié durait depuis des lustres et ils n’avaient jamais ressenti le besoin de plus de proximité.

Peu après, de grands coups retentirent dans la porte. Ernest encore habillé alla ouvrir : un homme encapuchonné dans un ciré jaune entra dans un tourbillon de vent. Ernest s’empressa de fermer la porte. Une fois sa capuche reléguée sur ses épaules, l’homme semblait jeune :

- « Vous n’avez vu personne ?

- Non, mais nous ne regardions pas dehors avec ce temps !

- C’est ma femme ! Elle n’est pas rentrée !

- Elle a dû s’attarder chez des amis, avec ce temps.

- Non, ce n’est pas possible, nous ne connaissons personne, nous sommes juste de passage».

L’homme expliqua à Ernest et à Adeline qui les avait rejoints que sa femme était sortie, sur un coup de tête, après une dispute. Il fut décidé que les deux hommes partiraient à sa recherche tandis qu’Adeline resterait dans la maison au cas où. Adeline avait enfilé un gros chandail et s’était fait une nouvelle tasse de thé qu’elle sirotait dans le fauteuil, celui qu’elle s’était attribué depuis qu’elle avait pris possession du penty.

Bien que légèrement assoupie, elle entendit un léger bruit venant de l’extérieur, comme un frôlement. Elle ouvrit doucement la porte, passa la tête et demanda doucement s’il y avait quelqu’un. Une femme sortit de l’ombre l’air épuisé. Adeline la fit rentrer dans la maison. Elle semblait transie de froid. Parant au plus pressé, Adeline alla chercher une serviette et des vêtements chauds, elle la frictionna sans un mot, la femme se laissait faire, puis elle lui enfila un gros chandail et l’installa dans l’autre fauteuil. La femme avait toujours l’air égaré.

- « Adeline, je m’appelle Adeline, et vous ?

- Nadine ».

Elle n’avait qu’un filet de voix.

- "Vous voulez me raconter ? »

Elle ne sembla pas l’entendre car elle restait silencieuse. Après un long moment, elle commença d’une voix monocorde :

- « Je suis en vacances avec mon compagnon et nous avons eu des mots… je ne sais comment les définir, mais j’avais l’impression que ce qu’il me disait était définitif, que plus jamais nous ne pourrions nous rabibocher, que nous deux c’était fini. Je ne sais pas, je crois que je n’ai pas supporté l’idée, surtout que…, alors je suis partie en courant, droit devant moi, et la tempête m’a rattrapée, j’ai continu à courir, puis j’ai marché, marché, ma tête s’est vidée, puis plus rien, le vide, je n’existais plus, lui non plus…. »

Elle s’arrêta de parler, Adeline ne disait rien, n’osant la brusquer. Après quelques minutes Adeline lui demanda d’une voix douce :

- « Et puis ?

- Et puis rien, non rien, j’ai vu votre maison, j’avais si froid !

- Vous avez eu raison ».

Adeline lui versa une tasse de thé chaud sur un doigt de wiskey et la lui tendit. La jeune femme avait l’air de reprendre vie peu à peu. Adeline lui proposa alors de passer la nuit chez eux pour qu’elle se donne le temps de la réflexion et lui offrit sa chambre, Nadine s’endormit immédiatement. Adeline retourna dans le séjour pour attendre les deux hommes qui ne tardèrent pas à revenir. Elle informa le jeune homme que sa compagne était là et qu’elle resterait toute la nuit car elle s’était endormie, elle pensait qu’une nuit de séparation ferait le plus grand bien au couple.

Le lendemain, la tempête s’était calmée, Ernest était sorti faire son footing sur la plage comme à son habitude, les deux femmes prenaient leur petit déjeuner sur la table de la cuisine. Nadine avait l’air calme. Adeline en profita :

- « Hier vous aviez commencé à dire quelque chose qui est resté en suspens. Si je me souviens bien vous étiez angoissée à l’idée que votre relation pouvait être finie, surtout que… Surtout que ?

- Ah, je vous ai dit ça ? Après tout, pourquoi ne pas vous le dire ; surtout que je suis enceinte

. - Oui, évidemment. Evidemment… Hum, bon, ce n’est pas la peine que je vous le demande, c’est de lui bien sûr ! Je vois… Et j’imagine que lui ne voulait pas d’enfants, qu’il ne voulait pas s’engager à ce point, qu’il n’avait pas fini sa vie de loisirs, qu’il ne se sentait pas prêt à être père. Evidemment ! Vieux réflexe des hommes, et dire que ce n’est même pas un problème de générations…. »

Adeline parlait doucement et Nadine se contentait de hocher la tête en signe d’acquiescement. A ce moment-là, on frappa à la porte et le compagnon de Nadine se faufila à l’intérieur, un sourire contraint. Adeline le conduisit à la cuisine, Nadine n’avait pas bougé, comme pétrifiée, l’homme s’agenouilla à côté d’elle, lui prit une main la caressant doucement de son pouce. Adeline s’éclipsa. En s’éloignant, elle entendit quelques mots de la voix plus forte de l’homme :

- « je n’avais pas compris, quelle buse je fais, mais non mon amour, tout va bien. »

Une dizaine de minutes plus tard, ils sortirent de la cuisine se tenant par la main, Nadine souriant largement et l’homme attentionné lui entourant l’épaule de son bras.

- « Merci Adeline, merci de votre accueil, de votre écoute. Tout va bien maintenant.

- Oui tout va bien, tout va même très bien, nous allons être parents ! Merci. »

Ils s’éloignèrent toujours étroitement enlacés. Adeline pris un ciré, ferma la porte à clef et se dirigea vers la plage. De loin elle vit Ernest qui venait à sa rencontre. Elle s’élança vers lui et se précipita dans ses bras qu’il avait ouverts pour l’accueillir et tout naturellement leurs bouches se rencontrèrent et ils tournoyèrent en riant aux éclats, le vent leur ébouriffant les cheveux.

Peut-être était venu le temps de devenir amants !

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5 mars 2015 4 05 /03 /mars /2015 17:08

Cher Papa,

Ma mère ne m’a jamais parlé de toi et pourtant, je sais que tu existes. Je le sais puisque je suis là. Je sais que tu as les yeux verts parce que c’est la couleur des miens, et tu as les cheveux bonds foncé vu que maman les a châtain triste. Sais-tu que j’ai déjà quinze ans. Tu ne trouves pas que le temps passe vite ? Seize ans ou presque que tu as … enfin … avec maman.

Je me pose des tas de questions. Est-ce que tu sais que j’existe ? Est-ce qu’elle te l’a dit, ou bien étais-tu déjà parti ? Et maman, l’as-tu aimée ? Ca, vraiment, ça me semble bizarre parce que, si c’était le cas, je ne sais pas ce que tu lui as trouvé ! Pourtant elle devait être mignonne avant, j’ai vu des photos d’elle, avant, quand elle n’était pas si triste. Tu vois le problème ? Tu es parti et moi je suis restée. Je t’en veux pour ça. Parce que ce n’est pas drôle tous les jours avec elle. Des fois, elle me regarde avec un air méchant, alors je me fais toute petite et je file dans ma chambre sans un bruit.

Je suis sure que tu étais beau, grand, mince, bronzé certainement et tu devais drôlement bien danser ! C’est comme ça que ma mère t’est tombée dans les bras. Oui, un jour elle m’a dit par hasard qu’elle aimait beaucoup danser quand elle était jeune. Je n’arrive pas à me l’imaginer.

Tout de même, je comprends un peu pourquoi tu n’es pas resté. Elle peut vraiment être pénible : fais pas ci, fais pas ça, va ici, va là-bas. Enfin tu vois ce que je veux dire. Des fois je lui dis : « Éric n’aimerait pas… » Éric, c’est le nom que je t’ai donné. Tu l’aimes bien ton nom ? Souvent, je te raconte ma journée le soir. Bon, je n’ai pas grand chose à dire, mais ça me fait du bien, et j’ai l’impression que tu te penches sur mon lit pour me dire bonsoir. Ma mère ne le fait jamais.

Bon, Éric, il faut que je te laisse pour aujourd’hui, parce que j’ai des trucs à faire. Si tu veux me répondre, je ne t’empêche pas. Bon, ben alors, je t’embrasse, fort, fort. A bientôt, on ne sait jamais. Lise

Salut Éric,

J’ai grandi depuis la dernière fois, je suis indépendante et je travaille à Paris, mais je suis sure que tu t’en fiches complètement. Tout de même, tu dois savoir que j’avais peu de choix : bien travailler à l’école pour me sauver de la maison, ou me sauver de la maison sans avoir travaillé à l’école, sans examens, sans métier, et la dégringolade. Comme je ne suis pas suicidaire, j’ai choisi la première solution, et avec la mère que j’avais, c’était en fait la seule solution.

Evidemment, tu n’as pas répondu à ma première lettre car je n’ai pas su où te l’adresser. Tout de même, il fallait que je dise que je suis maintenant seule au monde : ma mère, ton amante d’un temps ou d'un jour, est morte. M.O.R.T.E. Les mots, il faut les dire. Comme je n’avais personne à qui les dire, c’est à toi que le fais. Elle avait attrapé une cochonnerie de maladie, sans me le dire, et elle est partie parcimonieusement, je ne suis même pas triste, presque soulagée. Alors, ne la cherche plus, je ferme la maison et je la vends. Donc si tu veux me trouver, ce sera à Paris.

Pourquoi est-ce que je te dis cela ? Tu n’en a rien à faire de ta fille, celle conçue en catimini et oubliée aussi vite. Quel âge as-tu maintenant ? Soixante ans, cinquante ans ? Mais j’y pense, peut-être étais-tu marié à l’époque, celle du catimini ; mais je m’emballe, tu n’existes peut-être pas, c’était peut-être un autre miracle : moi ! Parce que penser que ma mère ait fait l’amour avec quelqu’un, j’ai du mal à l’imaginer.

Voilà ! Tu as foutu sa vie en l’air, et je n’en suis pas sortie indemne non plus. Aujourd’hui, je ressens une grosse colère envers toi. Je ne sais par moi : une carte pour mon anniversaire, un petit cadeau à Noël, un petit signe. Mais non, le silence total. Et pourtant, je n’arrive pas à te détester complètement. Tiens, même, je finis cette lettre en t’embrassant.

Ta fille, Lise

PS : j’espère que tu n’es pas SDF quand même.

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3 octobre 2014 5 03 /10 /octobre /2014 17:56

La soirée avait été orageuse, dehors comme dedans. Simone était partie se coucher en boudant, après avoir claqué la porte ; Hortense prétextant un mal de tête avait fait de même. Roland avait regardé partir son amoureuse avec émotion : elle ne lui avait pas même lancé un regard avant de quitter le salon.  C’est incroyable comme les soirées d’orage influent sur les comportements ! Dans le salon, il ne reste plus à présent que Roland et Ferdinand. Ils se regardent, l’air pensif. Ferdinand hoche la tête et marmonne :

« Eh bien, si j’avais pensé que ces quelques mots allaient déclencher un cataclysme, je me serais abstenu. »

            Roland lui met la main sur l’épaule :

« Non, tu n’y es pour rien. Tu sais comme elles sont : il y a des moments où  quoi que l’on dise, les mots que l’on enfile les uns au bout des autres sont disséqués, analysés, extraits, repassés dans la moulinette de leur esprit tortueux et pris pour ce qu’ils n’étaient pas ; non, ce n’est pas de ta faute !

  • Ni de la tienne !

  • Pourquoi est-ce qu’elles essaient de nous rendre coupables ? Tu as entendu les mots que nous employons : faute, coupable. Putain, cette éducation chrétienne nous poursuit, même si je ne crois plus ni à  Dieu ni à diable !

  • Allons plutôt nous coucher, nous aussi.

  • Non, pas tout de suite, je ne pourrai pas dormir. »

Ils se taisent. Ferdinand tente de se repasser le film de la soirée dans la tête. La conversation avait été fournie, comme souvent, glissant d’un sujet à l’autre. Et à la fin, il avait dit … Il n’arrive pas à s’en souvenir. Qu’est-ce qu’il avait bien pu dire ? La seule chose dont il est certain, c’est la réaction de Simone :

« Ah vous, les hommes, tous les mêmes ! Il faut toujours que vous jouiez les machos ! On est au 21ème siècle, réveillez-vous, les mecs, on n‘est pas à votre botte ! »

Ça fait tout de même un peu mal.

« Ecoute, Ferd, ce n’est pas la peine de ressasser ! Demain  ce sera oublié !

  • Mais le problème, Roland, c’est que j’ai occulté ce que j’ai dit. Je n’en ai plus aucun souvenir et cela m’inquiète. Comment me faire pardonner ?

  • Tu as dit, tu as dit … c’est vrai ! Qu’est-ce que tu as dit ? Certainement quelque chose de complètement anodin.

  • Oui, mais pas pour elles !

  • Tu crois qu’on va leur demander ?

  • Non, tout de même pas, sinon ça va recommencer. Je t’en prie, ne jette pas d’huile sur le feu.

  • Tu as vu la solidarité féminine, comme elle a fonctionnée ? Et maintenant on se retrouve comme des cons, avec notre culpabilité et notre mémoire comme une écumoire.

  • Une passoire.

  • Si tu veux.  Si on se buvait un petit cognac ?

  • Non merci, si je sens l’alcool, ce sera encore pire.

  • T’as raison. Bon, on va s’coucher. »

 

Ils sortent de la pièce à pas feutrés pour ne pas risquer de « les » réveiller et s’arrêtent au pied de l’escalier, ils sentent encore le besoin de se parler.

« Je lui dirai demain « désolé pour hier soir ». Tu crois que ça suffira ?

  • Oui, ça devrait aller.

  • Merci. Allez, bonsoir.

  • Bon et n’y penses plus. Demain sera un autre jour, comme disait mon père.

  • Le mien disait « vivement ce soir que l’on se couche », alors on y va. »

 

Ils rient tous les deux et montent l’escalier pour rejoindre leurs amoureuses.

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9 mai 2014 5 09 /05 /mai /2014 14:28

Il y avait eu des éclats de voix, puis un silence, lourd, inquiétant. Sans un regard pour elle, il était sorti. La nuit sans lune n’éclairait pas la route, d’autant que de lourds nuages rendaient la nuit plus dense.

Il avait marché longtemps ; de temps en temps, les phares d’une voiture éclairaient momentanément la route, il montait alors sur le trottoir dans un élan de survie et laissait la voiture le dépasser, sans un regard.

Il martelait sans cesse ces mots : « Et maintenant, quoi ? » Son esprit était vide mais son absence de sentiments ne l’inquiétait pas, il n’en avait pas conscience, il était absent de lui-même. Longtemps il avait marché, puis sans même savoir pourquoi, peut-être avait-il mal aux pieds, allez savoir, il s’était assis sur le trottoir, les coudes sur les genoux, la tête dans les mains : « et maintenant, quoi ! »

Elle aussi était sortie, elle avait hésité sur le seuil de la porte. « Où est-il allé ? » Ainsi qu’elle en avait l’habitude, elle se faisait du souci pour lui : « et il n’a même pas pris son écharpe ! » Elle ne pouvait s’empêcher de penser à son bien-être, même après cette dispute si violente, qui laissait un goût de définitif.

Elle avait avancé un pied, puis l’autre et, sans même s’en rendre compte, elle s’était mise à marcher, d’abord lentement, puis plus vite ; il y avait comme une urgence en elle. La nuit noire happait les maisons dans l’infini. A cette heure tardive, pas de lumières. Elle marchait maintenant d’un bon pas, puis elle ralentissait. Sans s’en rendre compte, elle était entrée dans la forêt et errait, seule dans la nuit.

Elle ne réfléchissait plus, sa tête était vide, résultat de sa marche. Elle écoutait le rythme de ses pas, un, deux, trois, quatre. Un, deux, trois, quatre faisait une ritournelle dans sa tête, un, deux, trois, quatre. C’était mieux ainsi, ne pas réfléchir, ne pas savoir, oublier, l’oublier, oublier sa vie ! Et c’était quoi au juste sa vie ? Elle avait été si heureuse avec lui. Etait-ce vrai ou seulement une illusion, celle d’un bonheur parfait, d’un bonheur rêvé que toutes ses amies lui enviaient. Elle s’était oubliée dans ce bonheur, elle ne savait plus qui elle était vraiment, quelles étaient ses envies. Quel était son avenir sans lui ? Lui. Avenir. Envie. Envie de quoi, si ce n’est de lui faire plaisir, toujours plaisir, c’était son plaisir à elle.

Et lui ? Elle ne s’était jamais posé la question s’il lui avait fait plaisir. Mesquine, cette pensée ! Faire plaisir c’est s’abandonner à l’autre, s’abandonner et au bout du chemin se perdre, ne plus savoir qui on est. Elle marchait dans cette forêt familière, et se demandait si elle pourrait retrouver une facette d’elle-même.

Elle s’était arrêtée, s’était assise au pied d’un grand arbre, avait remonté ses jambes, posé les coudes sur ses genoux et avait enserré sa tête dans ses mains. Un hibou hululait non loin d’elle, un vent léger jouait avec ses cheveux dénoués, ses joues se mouillaient et bientôt elle sanglotait.

Fini, c’était fini !

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